Actualisée
le 7 avril 2011
La personnalisation du pouvoir que Nicolas Sarkozy ne cesse d'incarner et de promouvoir a suscité l'ironie avant de laisser rapidement place à l'inquiétude de voir s'édifier méthodiquement les murs d'un régime dictatorial sous couvert de réformes qui ne sont rien moins que des transformations radicales dont les proches effets et les conséquences sont identifiables sans peine.
C'est ainsi que même les plus candides considéreront qu'un étage capital de la fusée "dictature" vient d'être mis sur orbite avec la centralisation opérationnelle de la direction du renseignement (collecte, traitement et répression) entre les mains du Président. En clair, outre le danger évident de la main mise et de l'exclusivité d'un seul homme (et de ses conseillers) sur le contrôle et la surveillance des citoyens et de la société mais également de l'initiative des manipulations dont sont coutumiers les services, cette forme de direction exécutive scelle la fin de l'organisation républicaine au profit d'une centralisation intuitu personnae qui dépasse le modèle soviétique.
Comment en est-on arrivé là en si peu de temps ?
Il convient d'abord de rappeler que la force et la raison d'être de l'organisation républicaine est de garantir la prédominance de l'Etat - donc de la Nation et du Peuple - sur les dirigeants politiques et administratifs par un système de contrôle, de lois et de règlements qui interdisent par leur essence, leur nombre et leur enchevêtrement tout accaparement personnel de l'appareil administratif.
C'est
ainsi qu'un ministre aussi puissant ou
autoritaire soit-il ne peut aliéner une
administration à ses intérêts ou ses
désirs quand ils contredisent l'esprit
républicain et
démocratique parce que les fonctionnaires
répondent avant
tout
à un statut public qui les oblige à des
règles et un fonctionnement propres, établis pour
garantir leur neutralité et les protéger de
toutes pressions ou ordres qui mettent en cause le bien et
l'intérêt républicain.
Outre le statut
républicain des
fonctionnaires, l'organisation de l'Etat a été
structurée pour empêcher qu'un
ministère puisse
avoir une autonomie totale en le rendant dépendant
d'autres administrations dans l'exercice des missions
qu'il décide et en
l'obligeant à annoncer et justifier chaque ligne de son
budget
(donc de ses intentions) devant les assemblées
parlementaires.
Même si les missions du renseignement sont par définition relativement discrétionnaires, elles étaient il y a un an encore, encadrées à dessein par des échelons hiérarchiques administratifs pluri-ministériels et des procédures destinés à cloisonner l'emploi des moyens nécessaires à ces missions. En obligeant au partage et à la collaboration entre les différents services, cette multiplication des gardes-fou permettait d'exercer un auto-contrôle de validité des objectifs et de réduire les risques de dérive d'un responsable ou d'utilisation du pouvoir et des moyens de l'administration à des fins non démocratiques. L'exemple le plus représentatif est celui des écoutes téléphoniques qui nécessitaient une autorisation externe et motivée (judiciaire ou au niveau du Premier Ministre), procédure dont on a vu qu'elle était hautement nécessaire à l'occasion des fameuses écoutes de la cellule élyséenne sous Mitterrand.
Ceci posé, on comprendra qu'avant de prendre la direction opérationnelle de l'ensemble de l'appareil du renseignement national et de son usage discrétionnaire hors de tout contrôle en temps réel et de toutes contraintes effectives, le président a du dans un premier temps se débarrasser des gardes-fou organiques républicains. Ce qui fut fait en réunissant sous une seule direction (1) les moyens, du renseignement, de la surveillance intérieure et extérieure et de la répression (2).
Parallèlement, au prétexte de la lutte contre le terrorisme un certain nombre de lois liberticides ont supprimé sans grande publicité l'essence même du droit républicain qui fait de la protection de la vie privée un droit inaliénable, même par l'Etat. C'est ainsi que par les lois cadres sur la sécurité et les règlements qu'elles autorisent, les administrations ont été dotées d'un pouvoir exorbitant en matière de surveillance globale de tous les citoyens (3). Elles peuvent ainsi, de manière souvent inquisitoriale et sans grand rapport avec le but de leur fonction, collecter, stocker et exploiter tout un tas de renseignements sur chaque citoyen dont, comme par hasard, la direction du renseignement pourra établir le croisement pour constituer sa base de données.
A cela s'est ajouté le développement à marche forcée des infrastructures de vidéosurveillance et d'écoutes (eux aussi en voie de centralisation), la généralisation sous des prétextes divers des prises d'empreintes génétiques et biométriques de tous les citoyens et une série de réorganisations - notamment des missions militaires - qui donne à l'ensemble des moyens coordonnés ou couverts par le renseignement, l'allure d'un formidable outil tourné vers la mise en coupe réglée de la société.
Que la centralisation et l'usage de cet outil soient à présent dirigés directement par le président et ses très proches collaborateurs - hors des attributions traditionnelles de l'exécutif gouvernemental - ne laisse aucun doute sur les intentions et la forme de régime qui est maintenant en place pour le compte de l'actuel résident de l'Elysée ou de son successeur.
Ceux qui jugeaient exagéré de considérer Monsieur Sarkozy comme un potentiel autocrate porteur des germes commun aux dictateurs vont devoir s'y résigner et se rappeler que d'autres indices significatifs présentaient déjà fortement les caractéristiques des pouvoirs stalinien, maoïste, hitlérien ou exercés par l'un de ces Génies des Carpates, comme l'emploi de l'infantilisation et de la culpabilisation des citoyens (sécurité routière, fumeur, etc...), l'hyper médiatisation du chef et sa propension à veiller sur tout et tout le temps (idem Le petit père des peuples, le grand Timonier, etc...), la mise en scène du martyr et du sacrifice (lettre de Guy Moquet, mémoire de la Shoah portée par les enfants du primaire, la mystique sacrificielle insistante autour d'Ingrid Betancourt), les coups de force, les rodomontades et les bombements de torses, les provocations et les mensonges (voir le passage Laurent Joffrin lors de la conférence de presse présidentielle), le mépris pour ceux qui ne sont pas séduits, l'interventionnisme dans la presse, l'affectif ambigu dans les rapprochements avec des autocrates avérés (Kadhafi, Poutine, Assad, Hu Jin Tao, etc...), etc...
De ce point de vue, il n'est pas inutile de rappeler qu'en dictature, les moyens de la démocratie sont inopérants et qu'il convient de prendre conscience que l'attente de la sanction des urnes à l'occasion d'une prochaine élection présidentielle pourrait bien s'avérer vaine, soit que cette "formalité" sera purement et simplement supprimée, soit qu'elle ressemblera à celle organisée par un Poutine ou un Mugabe.
Lire aussi mon commentaire d'actualité autour du
sujet sur le
Décret du 11 mars 2011:
Décret
du 11 mars 2011: Surveillance totale et permanente de l'Internet privé
définitivement installée avec en prime la manipulation directe de nos
connexions
NB: Merci de signaler les liens inactifs. Une copie PDF de ceux-ci vous sera adressée.
(1)
Voir: La
super agence du pouvoir politique pour espionner
les Français. Secret défense en prime.
(2)
Il n'est pas inutile de rappeler que la réalisation de ce
regroupement a été facilitée par
l'existence d'un consensus avec l'opposition politique parlementaire.
Voir: Centralisation
inquiétante
(3)
C'est le cas par exemple de la super plate-forme d'écoutes du
ministère de la Justice , de l'autorisation
de placer des mouchards sur les ordinateurs ou de la généralisation
des écoutes policières à l'ensemble de
la population