Toute injustice est le fruit d'une pensée manipulatrice consciente dont le ou les auteurs sont en général dissimulés et leurs exécutants identifiables.
De ce fait, comme dans toutes les constructions manipulatrices, la mécanique d'une injustice repose sur l'isolement ou le discrédit de la cible, que cet isolement soit structurel (position de faiblesse familiale, sociale, professionnelle, etc...) ou patiemment préparé (par la rumeur par exemple).
Ainsi, moins la victime d'une injustice bénéficie de soutien (en quantité, mais surtout en qualité), plus il est aisé de l'enfermer dans la manipulation. Ce qui est valable pour une injustice touchant un individu ou un petit groupe isolé, l'est également pour un groupe social constitué (discrimination raciale, financière, économique, politique, culturelle, etc...).
Cependant, il arrive parfois que le discrédit jeté sur la cible s'avère trop grossier ou particulièrement incohérent de sorte qu'il entraîne le sentiment de la construction d'une injustice flagrante dont les responsables sont publiquement identifiés. Ce genre d'injustice devient alors emblématique d'une réalité monstrueuse dans laquelle chaque citoyen innocent ressent l'angoisse d'y être potentiellement plongé un jour ou l'autre.
On trouve actuellement une illustration de ceci avec "l'affaire de Tarnac" dans laquelle la stupidité des arguments et l'inanité des "preuves" avancées (1) par une police et une justice d'exception aussi paranoïaque que l'exécutif politique qui les pilote et les couvre, donne le sentiment à un grand nombre de citoyens de pouvoir être traiter un jour comme Julien Coupat, ne serait-ce que sur la base de lectures iconoclastes ou la trace informatique d'une recherche sur la manière ancienne de faire sauter un rocher gênant sur un sentier de montagne.
Ce fut le cas aussi de l'affaire d'Outreau que les moins avertis ressentent comme la réalité d'une machine judiciaire et policière dépourvue de discernement, obstinément aveugle, sourde et inhumaine et que les plus éveillés identifient comme le fruit d'une manipulation machiavélique plus profonde dont le profil des exécutants permettait le succès.
La limite au-delà de laquelle l'injustice met en péril la légitimité professionnelle et républicaine de ses auteurs
Or, il existe toujours une limite à partir de laquelle la réaction populaire et naturelle à une injustice emblématique peut devenir totalement incontrôlable par ceux qui en sont responsables et ceux qui les couvrent, et les exposent donc, les uns comme les autres, à un danger qui peut devenir physique quand l'Histoire décide qu'il est tant de nettoyer la place.
L'élasticité de cette
limite dépend de
la légitimité que maintient ou
non la population pour le corps institutionnel auquel
appartiennent les
responsables de l'injustice et à la
constante répétitivité de cette
dernière.
En clair, lorsque
la majorité de la population se sent potentiellement,
concrètement
ou fortement mise en danger par une quantité significative
de membres d'une institution et que ce
danger est confirmé par le maintien en poste de ceux-ci, la
légitimité républicaine qui les
protège finie par sauter et le passage à
l'acte devient probable, c'est à dire
l'éviction populaire manu militari. C'est ainsi que s'allume
la
mèche qui déclenche les lynchages publics, les
insurrections, les révolutions et les guerres
civiles.
Dans la situation sociale proche de l'ébullition qui est celle de la France aujourd'hui où la somme des injustices est singulièrement et justement associée au système de société organisé par le pouvoir dirigeant et à ceux qu'il protège, la potentialité d'une étincelle sur le bûché des innocents alimenté quotidiennement par une bonne partie de l'institution judiciaire, pourrait naître à l'annonce des verdicts concernant deux affaires emblématiques qui devaient être rendues le même jour, le 27 mars 2009.
En effet, ce jour là devaient se rendre d'une part la probable clémente décision confraternelle du Conseil Supérieur de la Magistrature à l'encontre du juge Burgaud (en l'occurrence désigné seul porteur du chapeau de l'affaire d'Outreau) et le verdict "politique" sans surprise de la cour d'appel spéciale chargée du procès Colonna (2) dont il est apparu dès le début qu'il serait conforme à la certitude de culpabilité que M. Sarkozy avait affirmée en roulant les biceps lors de l'arrestation du berger nationaliste corse.
C'est dans ce contexte et à la lumière du risque de franchissement de la limite rappelée plus haut, qu'il me semble judicieux de comprendre la raison essentielle qui a poussé le CSM (en gros le Conseil de l'ordre des magistrats) à annoncer à la dernière minute le report d'un mois de sa décision concernant le juge Burgaud pour ne pas ajouter son oukase à celle de la condamnation forcée d'Yvan Colonna par la cour spéciale.
Sans nul doute a t'il perçu
le risque
dangereux de rupture définitive de la
légitimité institutionnelle des magistrats aux
yeux de la population, en additionnant
le même jour dans l'esprit des observateurs
honnêtes et des citoyens,
deux faits symboliques montrant une institution fabriquant
- sans états d'âme -
une parodie de justice et signifiant par ailleurs aux victimes d'une
autre injustice fabriquée (et à la population en
même temps),
que son responsable principal a
relativement
bien fait son travail et pourra continuer à l'exercer.
En tous cas, c'est ce que l'on comprendra à demi-mot à travers le dérisoire prétexte de la "complexité du dossier" justifiant ce report, dans la mesure où il ne concerne évidemment pas la dimension technique de l'affaire(3), mais plus sûrement la difficulté de rendre publique une décision qui satisfera l'institution et par voie de conséquence entraînera un discrédit qui pourrait bien être définitif aux yeux de la population, laquelle pourrait enfin ne plus avoir de scrupules et de retenues à retirer leur légitimité à ses membres, les faire descendre de leurs estrades et les traiter les yeux dans les yeux.
On pourra aussi envisager la décision de ce report dans un contexte de "pouvoir territorial" entre l'Elysée (la Place Vendôme n'étant plus qu'une interface technique) et la magistrature qui aura pu trouver ainsi l'occasion de se démarquer du pouvoir Sarkozyste en lui laissant la seule responsabilité de la parodie de justice du procès Colonna, ou en tout cas en faisant en sorte de ne pas le côtoyer le même jour à la Une des journaux en montrant au citoyen une similitude de comportement vis-à-vis de la fabrication de l'injustice.
Et si le profil et la qualité de travail du juge Burgaud donnait une idée du travail des juges d'instruction anti-terroristes, notamment dans l'affaire Colonna ?
C'est d'ailleurs peut être en cela que résidait la véritable "complexité du dossier" car le juge Burgaud est le trait d'union symbolique entre l'affaire d'Outreau et le procès Colonna, ce qui n'aurait pas échappé à ceux qui ont un peu de mémoire et qui savent faire les liens entre les choses.
En effet. Rappelons-nous comment a été récompensé le juge Burgaud de son "excellent" travail à Outreau, bien avant que l'affaire n'apparaisse telle qu'elle avait été tricotée. Par une prestigieuse promotion au non moins prestigieux pôle anti-terroriste du Parquet de Paris, celui là même qui a instruit le dossier Colonna avec manifestement une objectivité très relative (4).
Ainsi, malgré son jeune age et sa faible expérience, ses qualités de sang-froid (et de sang froid !) pour "boucler" ce qui est devenu "l'affaire des innocents d'Outreau", avaient manifestement séduit la hiérarchie judiciaire (et le ministère de l'Intérieur ?).
De là à ce que le bon sens populaire en tire la conclusion que les instructions menées par le pôle anti-terroriste sont de la même veine que celle d'Outreau, il n'y a que l'espace de la logique et des faits dont le procès Colonna a montré au travers de l'attitude de la cour qu'ils fleurent bon (ou plutôt mauvais) la manipulation.
Le CSM était donc devant le dilemme de minimiser ou banaliser le travail capital d'un juge dans la fabrication d'une injustice alors même que la "qualité" de ce travail avait été jugée conforme aux exigences requises pour mener l'instruction d'affaires sensibles dont le procès Colonna venait juste de nous donner une idée précise de la dimension manipulatrice, aboutissant à ce qui ressemble fort à une injustice.
Compte tenu du rôle capital des juges anti-terroristes du Parquet de Paris dans la consistance de la stratégie paranoïaque actuelle dont l'affaire de Tarnac est l'illustration, on comprendra aisément qu'il aurait été dangereux de délégitimiser le travail et l'aura de ses juges-icônes en prenant le risque d'inviter à faire le lien évocateur que je viens de mettre en lumière.
Cela étant, je ne crois pas que cette petite manipulation de report d'une décision dont le contenu ne fait pas grand mystère sera de nature à éviter les conséquences naturelles d'un discrédit qui ne peut plus être endigué.
A lire aussi mes chroniques sur le sujet:
Atteinte
à l'honneur de l'administration judiciaire ou
dénonciation des causes du déshonneur ?
Instrument
judiciaire ou Justice - Juge ou Sage ?
et mon commentaire d'actualité:
L'erreur judiciaire n'est pas une erreur
formée par le
hasard
(1)
Pour se faire une idée, lire l'article du Monde: Ce que contient le dossier
d’instruction de l’affaire Tarnac
A ce propos, quel internaute n'a pas consulté un
jour ou l'autre des articles sur tel ou tel fait de
société traitant
de terrorisme ou de violence ou n'a pas
téléchargé une somme de documentations
qui pourrait être interprétée comme
nécessaire à la réalisation d'un
acte extrémiste ? A ce petit jeu subjectif et
paranoïaque, même le
vieux circuit imprimé d'un réveil
électronique hors d'usage enfoui au
fond d'un tiroir peut suggérer la fabrication d'une bombe
artisanale
dès l'instant qu'un limier de l'anti-terrorisme aura
décidé que vous
avez le profil d'un activiste.
Personnellement, comme tout autodidacte curieux de tout, il ne serait
pas difficile sans fouiller beaucoup dans le disque dur de mon PC et
encore moins
dans ma bibliothèque de trouver le Protocol des Sages de Sion,
un opuscule sur les différentes copies de la Kalachnikov, L'art de la
guerre de Sunzi et de Sun Bin, le Traité de la
guérilla
urbaine rédigé par Che Guevara, L'effroyable imposture
de Thierry Meyssan, Germinal
de Zola ou un manuel de chimie agricole, c'est à
dire autant de "preuves policière" d'un activisme
extrémiste. Et que dire de quelques articles de ce site qui
poussent à remettre en cause les fondements du
système et à débusquer ses
maîtres ?
(2)
Si la majorité des observateurs de ce
procès ne s'est pas risquée à employer
ouvertement et publiquement ce qualificatif, elle a
cependant relevé l'obstination des juges
à méthodiquement écarter tous les
indices évidents qui contredisaient la thèse
officielle
par ailleurs bâtie sur du sable. C'est ainsi que la cour a
refusé par deux fois une reconstitution des faits qui aurait
indiscutablement confirmé les expertises montrant que la
taille
de l'accusé est 10cm plus petite que celle du tueur, a
écarté les déclarations des deux
témoins
oculaires affirmant que Colonna n'est pas l'homme qui a
tiré
sur le préfet, tout comme elle n'a pas voulu retenir les
affirmations des auteurs déjà
condamnés dont celle
de Pierre Allessandri qui a sous-entendu à la barre que
Colonna
avait été balancé parce qu'il n'aurait
pas voulu "aller avec
nous",
ou a refusé d'explorer la piste des deux participants jamais
recherchés avec en prime une dissimulation à la
défense de cette information communiquée
officiellement quelques mois plus tôt au Président
de la
cour. Bref, la belle et visible obstination de la cour à
enterrer tous les arguments démontrant l'innocence de
l'accusé et à prêter main forte
à
une accusation vide de preuves, n'a
échappé à
personne, faisant naître chez les plus septiques la
certitude
d'un procès biaisé et donc d'un accusé
très
certainement innocent. De ce point de vue, l'évidence du
lien
entre la déclaration du ministre de l'Intérieur
Sarkozy
affirmant lors de l'arrestation d'Yvan Colonna que la police avait
"arrêté
l'assassin du Préfet Erignac"
et la
fonction présidentielle actuelle du même M.
Sarkozy,
permet de qualifier de politiques les conditions et le verdict de ce
procès.
(3)
On aura en effet du mal à croire que des professionnels
puissent mal évaluer le temps nécessaire
à
l'étude d'une telle affaire dont tout le monde à
bien vu où se situe humainement la responsabilité
du juge et les points précis où son
incapacité professionnelle, son absence de discernement et
son entêtement ont glacé d'effroi ceux qui ont
entendu les victimes. De la même manière on aura
de la peine à envisager que ces professionnels ne
puissent se rendre compte qu'à la
dernière minute du fait qu'il leur manque un mois pour
boucler leur décision.
(4)
Les juges d'instruction avaient écarté
du dossier les transcriptions d'écoutes
téléphoniques entre Colonna et des membres du
commando réalisées dans les 5 mois
précédant leur interpellation, lesquelles ne
contenaient aucun élément suspect montrant une
implication de Colonna dans l'assassinat du préfet Erignac,
ce qui contredisait évidement la thèse
officielle. Ce n'est que lors du procès que ces
pièces importantes ont été
évoquées, entraînant un
dépôt de plainte contre les juges d'instruction au
motif de destruction, soustraction, recel et altération de
documents publics de nature à permettre la manifestation de
la vérité. Voir: Yvan Colonna porte plainte pour entrave
à la manifestation de la vérité.
NB: Merci de signaler les liens inactifs. Une copie PDF de ceux-ci vous sera adressée.