Actualisée
le 27 novembre 2007
Le Parlement chinois a adopté le 30 août sa première loi anti-monopole qui vise les conditions d'acquisition de ses entreprises par des étrangers. Dans le dispositif législatif figure en particulier l'obligation du passage par une enquête de sécurité nationale avant toute fusion ou acquisition par des capitaux étrangers, en plus des vérifications sur l'éventuel caractère monopolistique du projet. En d'autres termes, l'Etat chinois joue le rôle normal de gardien de la richesse nationale.
On pourrait croire que cette loi est un texte protectionniste de circonstance répondant à l'envolée des fusions-acquisitions d'entreprises chinoises par des groupes ou des fonds étrangers qui sont passées de 5% en 2003 à 11% en 2004 puis à 20% en 2005 et dépassent les 25% selon les dernières estimations.
On pourrait aussi imputer ce
protectionnisme aux conséquences
de
l'adhésion de la Chine fin 2001 à
l'Organisation
Mondiale du Commerce
puisqu'elle impliquait l'ouverture de son
marché à la concurrence
étrangère et surtout aux
appétits gloutons
des multinationales
capables d'ingurgiter les entreprises locales avec leurs
moyens
financiers sans limites. C'est d'ailleurs ce que l'on
pouvait penser de la déclaration de Monsieur Wang
Xinpei, porte-parole du ministère du Commerce, qui
a commenté le vote de cette
loi en insistant sur "ses
apports pour les
consommateurs chinois" tout en souhaitant ne pas
s'exprimer sur l'impact pour les groupes étrangers.
C'est aussi ce qu'exprimait quelques jours plus tôt au China Daily Monsieur Wang Xiaoye,
expert juridique de l'Académie chinoise des
Sciences Sociales.
Si ces raisons rentrent évidemment dans la logique des nouvelles dispositions, elles ne justifient pas le fait que la loi patientait officiellement dans les cartons depuis ... 13 ans, c'est à dire à une époque ou les problèmes n'existaient pas et surtout ou son évocation aurait refroidi les pionniers de la délocalisation. Il serait donc naïf de penser que la loi votée n'est qu'une loi dictée par les circonstances car elle ressemble fort à une étape s'inscrivant dans une stratégie élaborée.
Pour s'en convaincre (si besoin
était), il convient
de s'arrêter un instant sur le nec
plus ultra de la stratégie que forment
les deux traités
L'Art de la guerre de Sunzi
(rédigé
il
y a 2700 ans par "le
sage de la guerre" Sun Wu) et L'Art de la guerre de Sun Bin
(-
2500 ans). Les 13 chapitres de
L'art de la guerre de
Sunzi ont
inspiré des générations de
généraux chinois, servi l'instruction des
guerriers japonais à partir du VIII°
siècle,
formé la trame de pensée et d'actions de Mao
Zedong dont les principes stratégiques et tactiques sont
à ce point similaires à ceux de l'auteur de
L'Art de la guerre que
les spécialistes le
considèrent comme "l'héritier
le plus spectaculaire de Sunzi".
Connus dans le monde entier depuis la traduction d'Amiot en 1772, ils
ont inspiré entre autre Machiavel et on les
voit poindre derrière le soleil d'Austerlitz (1).
Connaître
son adversaire, attaquer en priorité sa
stratégie, éviter sa force, le
décevoir et le manipuler, tels sont les principes
généraux de L'Art
de la guerre de Sunzi et de Sun Bin. Ce
sont ces principes qui illustrent parfaitement les
rapports économiques actuels et à ce
jeu, la primauté de leur maîtrise
appartient plus, culturellement
et historiquement, à ses descendants qu'à ses
adeptes occidentaux.
La lecture de
quelques extraits (2)
suffit à s'en convaincre et devrait permettre à
un lecteur de bon sens de décrypter
l'étape
que la Chine vient de marquer dans sa "Longue Marche".
Jugez
plutôt:
"Le
recours à la duperie est un principe à observer
dans la guerre. Par conséquent quand vous
êtes capable et désireux de livrer combat, vous
devez tâcher de vous montrer inapte et
indifférent.
Quand vous voulez rester sur place ou aller loin, feignez
le contraire. Quand
l'adversaire est cupide, faites-lui miroiter des gains.
Quand l'ennemi est en désordre, prenez-le d'assaut. Quand
il est solide, prenez garde à lui. Quand il est puissant,
évitez de le rencontrer. Quand il est arrogant, cherchez
à le faire réfléchir. Quand il est
prudent, rendez-le arrogant. Quand il est dispos, cherchez
à le harceler. Quand il est solidaire, efforcez-vous de
semer la discorde dans son sein...".
Ainsi, l'Eldorado des entreprises en recherche de bas coût de production va commencer à changer de visage pour les chercheurs de marge à 3 points. La Chine s'éveille diront les plus optimistes tandis que les plus avisés rappellerons que ce sont les visions à courtes vues et le tempérament un peu colonial des premiers délocalisateurs et investisseurs qui ont donné l'illusion d'un accueil sans arrières-pensées. Quant aux "éveillés" qui manient l'art du bon sens, ils vous inviteront à lire Sun Wu.
Entraînés par les décennies maoïstes d'autarcie et de construction du pays, en même temps que d'isolement vis-à-vis du reste du monde, les Chinois possèdent plus que beaucoup d'autres un sens aiguë, collectif et instinctif de la nation conquérante, d'abord parce qu'elle a été le moteur de leur histoire contemporaine et ensuite parce que le concept est culturellement lié à toutes les grandes civilisations à l'histoire plusieurs fois millénaire.
Ainsi, il ne fallait pas voir dans "l'ouverture" de la Chine autrement qu'un moyen de cerner et de "digérer" le fonctionnement du monde occidental, ses besoins, ses attentes et ses plaisirs. Pour le reste, l'intelligence, la discipline et l'abnégation des diplômés (ou pas) chinois ainsi que la puissance de la mafia locale et l'expérience de la corruption, n'avaient nul besoin de profiter de l'apport occidental, bien au contraire.
Avec un peu de mémoire, il faut se souvenir par exemple que Renault négociait l'installation de chaînes de production en acceptant le partage de leur direction avec une équipe chinoise et le transfert à terme de la propriété de l'infrastructure au profit de l'accueillant. Ces conditions de négociation étaient justifiées par la compensation de pouvoir inonder le "colossal marché chinois" (sic) ... composé d'une immense majorité de salariés dont 10 ans de salaire sans dépenses peuvent à peine permettrent d'acquérir une voiture d'entrée de la plus basse gamme. Aujourd'hui encore, la recette du "donnant-donnant" fait flores, surtout quand elle permet les bombements de torses des dirigeants politiques ou économiques occidentaux qui vont quérir en VRP les ventes de fin de mois pour amoindrir le déficit de leur balance extérieure.
Bien sur, les brevets et la technologie utilisée étaient juridiquement protégés, mais pas la capacité asiatique à dépasser très vite le stade de la copie. Pourtant, l'autre Chine, celle de la Taïwan triomphante venait tout juste de montrer son aptitude à transformer en un temps record les produits électroniques occidentaux bardés de brevets et d'innovations en Pack-Man économiques aussi adaptés et optimisés que miniaturisés.
Aujourd'hui, après avoir attiré les occidentaux en ayant mis à leur disposition son potentiel de travailleurs à peine payés ("Quand l'adversaire est cupide, faites-lui miroiter des gains"), la Chine qui possède les outils de production (matériel et humain), n'entend pas les céder au hasard de prises de capital ou même en partager la propriété, ce qui relève d'ailleurs de la "gestion de bon père de famille".
Sa logique économique s'inscrit diablement dans l'époque puisqu'elle prend au mot la fine fleur conquérante des "capitaines d'industries et de services": s'enrichir en absorbant le concurrent ou le partenaire. L'originalité de la méthode (toute asiatique, et c'est un compliment) réside dans le subtil principe des vases communicants, siphonnés par le bas, c'est à dire par le travail et non par le capital ("Quand je fais de la règle une surprise, l'ennemi s'attend à une attaque selon la règle, je l'attaque alors par la surprise"). Pas de raids boursiers, pas de concurrence, juste l'offre du cadeau qui plait à l'entrepreneur financier.
Dès lors, le refroidissement dans l'accueil des joint venture occidentales de la part des chinois (qui montent ... qui montent) trahi logiquement deux faits majeurs pour l'avenir. D'une part qu'ils ont atteint un niveau de structures productives, de la conception à la commercialisation, aptes à fonctionner de manière autonome. D'autre part que la capacité de production occidentale est à présent suffisamment affaiblie pour rendre les occidentaux dépendants de la production chinoise.
Cette situation n'est rien moins que la résultante de l'exploitation stratégique initiale d'un constat. En effet, en favorisant la promotion et le remplacement des patrons traditionnels (dont Pierre Jallatte peut être un exemple) par des managers financiers formatés aux théories sans maîtrise des conséquences, les dirigeants politiques et économiques occidentaux ont amorcé la pompe du siphonnage de la production et du tissu économique dont la stratégie chinoise ne pouvait que faire son miel.
Il ne restait plus ensuite qu'à attendre la constitution de concentrations économiques quasi monopolistiques détenues par des groupes à vocations uniquement financières qui allaient inévitablement démembrer les cœurs de métiers, éliminer les vraies compétences humaines, détruire les concurrences locales, faire exploser les frontières et courir après les premières bulles spéculatives en poussant les enchères comme on joue au Monopoly avec un argent qui ne vous appartient pas. Dès lors, leur offrir le moyen de diviser les coûts humains pour sceller définitivement le sort des populations occidentales, n'était plus pour l'empire du milieu qu'un appât renforcé par la déférence de celui qui se met en quatre pour satisfaire son hôte ("quand vous êtes capable et désireux de livrer combat, vous devez tâcher de vous montrer inapte et indifférent ").
Ainsi, c'est lorsque les populations occidentales sont au bord du point de non-retour dans la dépossession de leur souveraineté économique et productive au profit d'entités supra nationales incontrôlables, que ces dernières sont priées de rester à la porte de la Chine, de garder leurs investissements et commencent à être mises en cause sur leurs compétences techniques prouvées ("C'est en les affaiblissant qu'on parvient à soumettre les princes. C'est en faisant montre de sa puissance redoutable que l'on parvient à les asservir. C'est en leur faisant miroiter des avantages qu'on parvient à les faire circuler").
La logique veut que l'épisode suivant touche les tarifs des exportations chinoises qui entraîneront mécaniquement une spirale inflationniste mondiale et une paupérisation généralisée des populations occidentales. Une guerre est définitivement victorieuse quand la population vaincue ne peut plus produire ce qui lui est indispensable pour vivre. Déjà, les prix des articles importés de Chine vers les États-Unis ont augmenté en un an de 0,6% après plusieurs années de baisse régulière. Ajoutons à cela que l'excédent commercial de la Chine devrait être pour 2007 d'environ 220 milliards de dollars alors que le déficit des USA va atteindre les 842 milliards, et nous aurons une idée des conséquences de ce rapport de force.
Parrallèlement, s'appuyant sur ses réserves de change qui sont les plus importantes au monde, la Chine va s'attaquer aux fonds d'investissement mondiaux. Le China Investment Co qui vient d'être crée le 29 septembre 2007 à cet effet, a déjà pris 10% du fonds d'investissement américain Blackstone.
Mais il y a mieux encore, la Chine finance une grande partie du déficit colossal de l'économie américaine en investissant massivement dans les bons du Trésor US. Ce qui veut dire que l'épargne des ménages et des entreprises chinoises finance le crédit des ménages et des entreprises américaines. En clair, la position du banquier qui attend sagement de saisir pour pas un sou la maison et les meubles du débiteur incapable de rembourser son emprunt.
Il n'est donc pas besoin de faire un dessin pour comprendre que les deux mors chinois de la tenaille économique - le travail et les fonds d'investissements - vont se resserrer sur les économies jusque là dominantes avec pour conséquence la dévitalisation humaine et financière de ses pays. Une stratégie militaire parfaite qui consiste à confisquer les armes des soldats ennemis et à vider les caisses des généraux adverses.
Certes, le tableau est brossé à gros traits et on trouvera ici ou là des motifs qui relativisent les intentions, mais qui n'infirmeront pas la "stratégie" chinoise qui s'appuie sur les egos, les appétits et les coupables orientations des dirigeants occidentaux. Après tout, on nous a tellement convaincu et imposé que l'économie c'est la guerre, qu'il ne faut pas s'étonner qu'elle puisse être gagnée par les descendants du Maître de la stratégie.
Cependant, que l'on ne se méprenne pas en pensant que ma modeste analyse conclut à diaboliser la Chine sur fond d'affrontement de civilisation, l'Occidentale contre l'Asiatique. Elle ne vise qu'à inviter au décryptage de l'actualité présente en prenant le recul nécessaire pour identifier le fil de l'histoire et lire son scénario qui est toujours écrit par les plus grands stratèges longtemps avant que ne surviennent les événements.
L'important est de retenir que nos brillants gestionnaires politiques, industriels et commerciaux auront disposé de nos tissus économiques et de notre devenir pour le gain temporaire de leur douce et confortable retraite personnelle, avant que les plus petits d'entre eux ne soient dévorés comme ils nous ont assaisonnés à leur sauce sans scrupules.
Ceci est autant valable pour les
Occidentaux que
pour les Asiatiques ou toutes autres civilisations et cultures car,
comme
le préconisait Sun Wu:
"Il faut tromper la vue
et l'ouïe des soldats pour qu'ils ne sachent rien des
opérations militaires"
"Assignez une mission
aux soldats sans leur révéler votre intention.
Exposez-leur les conditions favorables sans leur révéler
les facteurs dangereux.".
NB: Merci de signaler les liens inactifs. Une copie PDF de ceux-ci vous sera adressée.
(1)
Référence
à la tactique de Napoléon lors de la bataille
d'Austerlitz gagnée par l'effet de surprise, la
mobilité des troupes largement inférieures en
nombre, l'audace inouïe.
(2)
Florilège de quelques citations extraites de L'art de la Guerre de
Sunzi. D'autres sont inclues dans le texte de l'analyse.
- "Celui qui
connaît son adversaire et se connaît
lui-même peut livrer cent batailles sans aucun risque."
- "Quand je fais de la
surprise (qi) une
règle (zheng), l'ennemi s'attend à une surprise
(qi) - je l'attaque alors selon la règle (zheng). Quand je
fais de
la règle une surprise (qi), l'ennemi s'attend à
une attaque selon la règle (zheng) - je l'attaque alors par
la
surprise (qi)."
- "C'est
l'appât du gain qui pousse l'ennemi à se rendre de
son propre chef à l'endroit où nous
désirons qu'il aille.
C'est en lui dressant des obstacles que nous l'empêchons de
pénétrer dans notre zone de défense.
C'est pourquoi
il faut épuiser un ennemi frais et dispos, affamer un ennemi
bien nourri et disperser un ennemi stable."
- "un expert en
offensive agit de sorte que l'ennemi ne sache pas comment se
défendre. Un
expert en défensive agit de sorte que son adversaire ne
sache pas comment lancer une attaque."
- "La meilleure
manière de feindre est celle qui ne prête pas
à la suspicion, de sorte que les espions, si parfaitement
cachés soient-ils, ne savent distinguer le vrai du faux, et
les esprits les plus intelligents ne peuvent établir de
stratégie efficace contre nous."
- "Toute
l'armée doit agir comme un seul homme."
- "Voilà ce
qu'on appelle utiliser le moral de l'adversaire. Attendez que l'ennemi
s'agite et se trouble alors que
vous êtes en paix et en bon ordre, c'est ce que l'on appelle
utiliser sa volonté. Attendez que l'ennemi arrive d'un
endroit éloigné, qu'il souffre de faim et
d'épuisement, alors que vous êtes sur place, bien
reposés et bien nourris,
voilà ce qu'on appelle utiliser son énergie."
- "Ceux qui agissent de
façon irréfléchie et sous-estiment
l'ennemi finiront par être capturés."
- "On a raison de dire :
"Connaître son adversaire et se connaître
soi-même permet de remporter la victoire sans
aucun risque ; connaître le moment de l'attaque et les
conditions du terrain, c'est s'assurer une victoire absolue."