La fiscalité est un domaine indigeste dont les arcanes sont réservés aux spécialistes et la finalité reste sur l'estomac de tous les citoyens.
On sait par de maints exemples pittoresques ou carrément loufoques qu'elle recèle des trésors d'équations mathématiques sur mesure sous un vernis d'équité, de morale républicaine ou de justice sociale. C'est ainsi qu'un coefficient quelconque sera arbitrairement de 6,38% sans que l'on puisse jamais comprendre pourquoi il n'est pas de 6,37% ou de 6,39%, sauf à user de la logique qui veut que la sélection du débit du robinet soit déterminée par le volume d'eau et le temps de remplissage du seau souhaités.
Par voie de conséquence, on a compris depuis longtemps que la fiscalité est le nerf du pouvoir en place puisqu'il lui procure les subsides nécessaires à ses politiques quand ce n'est pas le financement des turpitudes de ses propriétaires, que leurs successeurs s'empressent d'ailleurs de mettre en avant pour justifier les nouvelles ponctions qu'ils décident avec les mêmes équations mathématiques maison.
C'est donc avec l'inquiétude de l'abusé que chaque retouche de la fiscalité est accueillie par le citoyen moyen. Je veux parler de la majorité des citoyens qui ne rentrent dans aucune catégorie d'amis très proches du pouvoir susceptibles de bénéficier des avantages finaux d'une réforme sur mesure qui ne dit pas son nom, et à ce titre dévolu au rôle du mouton Paul dont la laine sera coupée plus ras pour compenser l'excédent laissé sur le dos du mouton Pierre.
Tout ceci n'est donc que manipulation, et pas seulement de chiffres, car il faut aussi donner une image d'équité républicaine aux petits arrangements en justifiant les décisions par une politique axée sur le bien de la nation. En effet, on imagine mal la longévité d'un gouvernement qui annoncerait publiquement vouloir gaver ses amis fidèles et faire payer l'addition par ceux qui restent à l'extérieur du restaurant. Il est des choses qui se font, mais qui ne se disent pas, même sous les auspices de la décomplexion des temps nouveaux.
En matière de manipulation, il y a les "coups" bien montés et les autres, ceux qui ne tiennent pas la route parce qu'ils tirent des ficelles trop grosses. Celui que vient de réaliser Bercy pour le compte de l'Elysée sous la forme de la réforme de la fiscalité des dividendes est un petit bijou de montage dont j'ai choisi de décortiquer les grandes lignes sous la forme culinaire d'une recette.
Voici donc cette recette:
1 - Blanchir (1)
la population dans un bouillon auquel vous aurez
incorporé le principe
du travail comme seul vecteur de richesses.
Principe
que
vous aurez pris le soin de faire revenir (2) en
l'élevant au rang de morale
par amalgame à la notion de mérite,
que vous aurez décliné
régulièrement en slogan du type "travaillez
plus pour gagner plus"
et que vous aurez associé au principe
culpabilisateur et infantilisant du "donnant
- donnant".
N'hésitez pas à lui donner du corps en affirmant
par exemple que les
stocks-options sont choquantes.
Bref,
infusez dans la conscience sociale, par vos mots et
votre hyperactivité, l'idée
que vous incarnez le pays qui
travaille. Vous verrez, ça marche bien au point
que
vous pourrez partager le luxe et la complicité de ceux qui
engrangent par quintaux les dividendes financiers, sans risques
d'être pris par le col et viré des fourneaux comme
un vulgaire marchand de soupe
2 - Puis incorporez à ce roux (3) le principe de l'équité - ingrédient majeur de toute recette politique - que vous traduirez par le choix d'un taux unique d'imposition des sommes versées aux actionnaires. Choisissez du 18% afin de réduire la matière grasse des petits porteurs (-2%) et d'augmenter la valeur calorique des gros (+ 25%).
3 - Si la sauce montre des signes
d'ébullition, passez immédiatement en cuisson
à l'étouffée (4)
en rappelant que vous avez été
désigné démocratiquement par un vote
comme chef de cuisine, que l'on savait et voulait ce que vous alliez
concocter et
que vous répondrez personnellement des désordres
gastriques éventuels qu'entraînerait votre
mixture. Ne vous inquiétez pas car ce genre de
déclaration a le double avantage de calmer les ardeurs
contestatrices et de ne subsister que dans la mémoire de
ceux dont les effets de votre
préparation auront été mortels.
Conseil
de présentation:
Pour les grands restaurants, servir à la
Française avec un accompagnement aux petits oignons.
Pour les tables bourgeoises, servir de
préférence avec la feuille
d'imposition annuelle que vous aurez soin d'accompagner d'un ou deux
digestifs de bon aloi.
Cafétérias, Routiers, Restos communs: Non
concernés.
(1)
Action de plonger légumes ou viandes dans l'eau bouillante,
avant toute préparation, pour les attendrir, les nettoyer ou
les débarrasser d'un excès de sel.
(2) Passer dans un corps
gras très chaud de la viande ou des légumes pour
raffermir et colorer la surface.
(3) Base des sauces.
(4) Cuisson dans un vase hermétiquement clos pour
empêcher l'évaporation.
En conclusion, nous avons là du grand art, de celui qui consiste à faire passer une décision qui renforce et augmente le déséquilibre d'une situation sous le prétexte qu'elle la combat.
NB: Merci de signaler les liens inactifs. Une copie PDF de ceux-ci vous sera adressée.