Les conflits guerriers des soixante-dix dernières années ont montré que les populations civiles sont passées de l'état de victimes indirectes des affrontements (rationnement, conditions de vie liées à l'occupation de territoire, destruction de récolte et d'usine, mobilisation des hommes jeunes, etc...) à l'état de cibles directes, alors même que les instances internationales ont multiplié les conventions, les règlements et les tribunaux pour "humaniser" la guerre. Le nombre des cadavres civils pour cause de guerre s'en est trouvé largement augmenté tandis que proportionnellement celui des militaires de métier s'est réduit..
De ce fait, depuis la seconde guerre mondiale la
fameuse "chair
à canon" constituée par les
civils mobilisés ou appelés et globalement la
masse des sans-grades sous uniforme s'est transformée en chair
civile pour ce qui ressemble fort à des holocaustes.
Le Vietnam avait montré que l'on pouvait jouer au Napalm avec les populations civiles sans défense. Quelques années auparavant, "Little boy" et "Fat man" lancés sur Hiroshima et Nagasaki avaient "vengé" Pearl Harbour en vitrifiant des populations innocentes qui n'avaient aucune responsabilité dans l'affaire. Les dizaines de milliers de morts civils de Dresde se sont avérés être les seules cibles des 7000 tonnes de bombes incendiaires et des mitraillages. D'autres exemples pullulent qui ne se différencient de l'extermination programmée dans les camps nazis que par l'absence de "tri" dans les cibles humaines détruites froidement sans aucune distinction.
Si nous sommes restés massivement impuissants ou sans réactions de rejet des responsables de ces massacres organisés qui ne se justifient même pas des raisons militaires ou stratégiques, c'est probablement en grande partie parce que la réalité sanglante nous a été soigneusement dissimulée par la diversion des commentaires géopolitiques amalgamant les populations civiles avec leurs dirigeants - par ailleurs souvent épargnés - dans la perspective d'un supposé danger objectif pour la paix.
Pourquoi des photos inédites et saisissantes de l'horreur d'Hiroshima sortent 63 ans après ?
On peut donc s'interroger aujourd'hui sur les raisons de la diffusion par la Hoover Institution d'une série de dix photos (voir en annexe) inédites et saisissantes (1), présentées comme ayant été prises par un japonais anonyme au milieu des décombres d'Hiroshima dans les heures qui ont suivi l'explosion et qui auraient été retrouvées en 1945 dans une cave de la ville à l'état de pellicule non développée (2) par un soldat américain faisant partie de la force d'occupation du Japon à l'issue de la guerre.
Le parcours de ces clichés pose même quelques interrogations puisqu'il aura fallu attendre 53 ans avant que leur découvreur ne les sorte en 1998 du secret de son tiroir pour en faire don aux archives d'Herbert Hoover, assorti de l'obligation de ne les rendre publique qu'à partir de 2008, date à laquelle il était certain que sa santé précaire ne lui permettrait plus d'être en vie.
On peut en effet trouver bizarre que ce Monsieur Robert L. Capp (3) n'ait pas eu le besoin de tirer un profit financier évident de ces photos exceptionnelles, ni d'avoir céder à la tentation d'en révéler la possession à quiconque. Tout comme on peut interpréter son souhait de ne les rendre publiques qu'après sa mort comme une manière de ne pas avoir à répondre aux questions qui n'auraient pas manqué. De la même sorte, si on peut louer le désir que la Hoower Institution lui prête d'avoir voulu éviter de raviver les polémiques entre pro américain et pro japonais sur la délicate question de l'utilité du génocide, on conviendra que la vision de la réalité crue de l'horreur aurait été d'un plus grand bénéfice pour l'humanité tant il est vrai qu'elle génère la retenue ultérieure face aux discours guerriers.
Cependant, on ne peut écarter l'idée que la censure drastique américaine sur tout ce qui se rapporte à cet événement - et qui est encore patente - ait pu frapper aussi ces images en menaçant sérieusement son détenteur. En effet, la nécessité de nous maintenir à distance de la réalité et de l'impact humain réel de la frappe nucléaire de 1945 afin que nous ignorions le plus longtemps possible l'importance de la tragédie inhumaine subie par la population civile, n'a permis que la publication de photos lointaines ou suffisamment floues pour ne susciter que des commentaires de principe sur le dilemme monstrueux de la décision politique et sur la puissance apocalyptique de la solution technologique.
Toutefois, même si l'autorisation (ou la décision ?) de diffusion par la censure laisse penser que l'opération n'est pas innocente, ces images ont l'avantage de bousculer notre tendance à ne vouloir voir de la guerre que ce que l'on veut bien nous en montrer et en l'occurrence à prendre conscience que les victimes n'ont pas été instantanément vaporisées dans le champignon atomique comme on s'emploie à l'imaginer.
Cela étant, si l'ancienneté de l'événement et la disparition des témoins et des responsables de l'époque (4) permet quand même de réduire l'émotion populaire à un sentiment de compassion quasiment au même niveau que l'évocation du massacre des tranchées de Verdun, on ne pourra pas laisser de coté la dimension manipulatrice de cette nouvelle vision plus crue que celle déjà autorisée sur le sujet et qui nous renvoie inconsciemment à une autre histoire.
En effet, on aura noté la similitude avec les images abondamment médiatisées à la découverte des camps de concentration ce qui provoque consciemment ou pas l'évocation d'une sorte de continuité dans l'horreur, dans la constance de l'innocence des victimes non militaires et dans la notion d'extermination massive aveugle.
Par cette similitude d'amas ou d'alignement de corps civils de tous ages, à moitié vêtus, couvrant à perte de vue le sol boueux dans un sinistre décor de ruines déchiquetées, on découvre que l'horreur d'un massacre massif d'innocents n'est pas que le fruit d'une idéologie raciste comme on nous l'avait martelé en faisant de la Shoah le but principal du régime nazi, mais la volonté cynique de donner la mort sans discernement en visant - évidement lâchement - des populations sans défense, en général affaiblies et surtout qui ne s'y attendent pas. Bref, la peur qui se dégage est aussi que nous sommes tous potentiellement la cible future d'une extermination collective.
Désormais, le civil est au coeur de la stratégique militaire et doit s'attendre à être potentiellement pris un jour où l'autre dans un massacre massif sans aucune équivalence avec les plus grandes pertes qu'ait pu subir n'importe quelle armée régulière de professionnels ou de conscrits depuis que les peuples sont conviés à leur corps défendant à s'affronter. Plus précisément encore, il ne suffit pas d'appartenir à une communauté religieuse ou ethnique pour faire partie des victimes, il suffit simplement d'être de la race humaine et de se trouver sur le chemin ou dans le collimateur des nouveaux dieux de la guerre.
Le dernier épisode qui
scelle cette tendance installée depuis la seconde
guerre mondiale est
illustré par la folle paranoïa de
l'administration Bush
père
et fils dans sa conquête sanguinaire de l'Iraq dont le
nombre de morts militaires ne représente même pas
5% du total des cadavres.
Aux centaines
de milliers de morts de malnutrition et de
maladies en raison du blocus lancé par le père et
validé par l'ONU se sont ajoutées les centaines
de milliers de morts par les armes et notamment les bombes à
uranium appauvri de la première campagne et la
même
proportion de cadavres qui s'accumulent depuis dans le chaos actuel
décidé
par le
fils et validé par ses alliés qui sont aussi nos
gouvernants.
Aussi,
même si la presse n'a pour l'instant que peu fait
écho des photos
de
Monsieur Robert L. Capp et que leur origine semble douteuse, leur
circulation sur le Net n'est pas sans effets. Hormis la relance de la
controverse entre les thèses japonaises et
américaines
déjà connues, ne seraient-elles pas
destinées à nous
conditionner au fait que les guerres industrielles modernes ne sont
plus un
règlement de contentieux entre professionnels militaires
mais un exercice technologique dont le degré de
terreur et le volume d'extermination des civils sont les
étalons qui
désignent le meilleur de ces professionnels ?
Au-delà, ne veut-on pas nous inviter à prendre
conscience que l'humanité entière est couverte
par un petit nombre de demi-dieux qui comme les dieux de
l'antiquité raffolent du fumet de l'holocauste...
humain.
NB: Merci de signaler les liens inactifs. Une copie PDF de ceux-ci vous sera adressée.
(1)
Leur "réalisme" dépasse les photos
publiées du
photographe
Yosuke Yamahata qui était sur le terrain à
l'époque.
(2)
Certains spécialistes doutent que ces photos
concernent Hiroshima aux lendemains du massacre
américain et
avancent
l'hypothèse qu'elles se rapportent au tremblement de terre
de Kanton près de Tokyo
en 1923 qui avait fait plus de 140.000 morts.
Cela étant aucun de ceux-ci ne conteste que la
réalité
d'Hiroshima après l'explosion atomique soit moins horrible
que ce que montrent ces clichés.
(3)
On notera que ce nom est remarquablement très proche de
celui du célèbre photographe reporter de guerre Robert
Capa, considéré comme l'une des
références et des légendes du
métier et à qui on doit
notamment l'immortelle photo du républicain
espagnol foudroyé et les 11 uniques photos du débarquement
de Normandie. Ceux qui connaissent un peu la présence
systématique des "marques symboliques" qui accompagnent et
authentifient toutes les manipulations de masses partageront
certainement avec moi le sentiment que le choix du nom de
Monsieur Robert L. Capp a été inspiré
par celui de Robert Capa et que l'histoire de ces photos capitales
trouvées par hasard puis dissimulées pendant 53
ans avant d'être données à un
institut très proche des néo-conservateurs
américains par un homme que l'on ne peut plus interroger
quand elles sont rendues publiques, n'est qu'un habillage pour donner
de l'authenticité à des documents dont
ma chronique propose de montrer le rôle.
(4)
C'est le cas de Paul Tibbets, le pilote
de l'avion Enola Gay,
largueur de la bombe sur Hiroshima qui vient de
mourir en novembre 2007.
Les 10 photos de la Hoover Institution présentées comme ayant été prises à Kiroshima
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